J’ai évoqué dans mon dernier article le degré de contrôle que je suis capable d’avoir sur moi-même.
C’est quelque chose qui m’a été fort utile tout au long de ma vie, mais qui est parfois très lourd à porter.
Je ne sais pas à quel moment exactement je me suis dit que je devais me contrôler, ne pas laisser paraître certaines choses aux yeux de tous, en toutes circonstances. J’imagine que ça doit remonter à l’enfance, et je suis presque sûre que cette boule de nerfs que j’ai constamment au creux du ventre a du apparaître à peu près au même moment que cette résolution, consciente ou non.
Depuis que j’ai eu mon pré-diagnostic, j’en découvre tous les jours sur moi et ma façon de fonctionner. J’ai l’impression que chaque jour m’amène un nouveau mot décrivant à la perfection les maux que je ressens depuis toujours, sans toutefois avoir réussi à les décrire moi-même jusqu’ici.
Le mot du jour est alexithymie.
Définition Wikipedia :
L’alexithymie est une difficulté à identifier, différencier et exprimer ses émotions, ou parfois celles d’autrui. Ce trait de personnalité est communément observé parmi les patients présentant des troubles du spectre autistique et des symptômes psychosomatiques.
Le terme (tiré du grec a : préfixe privatif, lexis signifiant « mot » et thymos signifiant « humeur ») a été introduit en 1970 par John Nemiah et Peter Sifneos.
Je vous invite à vous renseigner plus avant si ce sujet vous intéresse.
Mais comment cette alexithymie et le contrôle que j’exerce constamment sur moi-même influencent-elles ma vie au quotidien ?
La plupart du temps, je suis incapable de dire ce que je ressens, tout simplement parce que je ne sais pas ce que je ressens, ni pourquoi je le ressens. J’ai souvent envie de pleurer, je suis même parfois au bord des larmes, mais je suis bien incapable de m’expliquer, et encore moins d’expliquer aux autres, pourquoi. C’est perturbant. Et c’est la même chose pour toutes les émotions. J’ai toutes les répercussions physiques de ces émotions, mais comme je ne sais pas forcément d’où ça vient, ça engendre chez moi un petit côté hypocondriaque qui va me faire penser que là j’ai un malaise parce qu’il y a un truc qui déconne dans mon corps.
Tout comme les conventions sociales, je suis obligée de réfléchir, analyser voire décortiquer mes émotions et sentiments pour savoir pourquoi je les ressens.
Et ma réponse à ces émotions est, elle aussi, intellectualisée et, de fait, non naturelle.
Là où ça devient particulièrement vicieux c’est quand le contrôle que j’ai sur moi-même et l’alexithymie se liguent pour me faire agir de façon totalement opposée à ce que je ressens.
Je suis quelqu’un de très rationnel, j’analyse tout, en permanence, et je comprends mieux pourquoi maintenant.
Pour vous donner un aperçu du genre de comportements que ce duo d’enfer peut me faire adopter, voici un exemple de réaction rationnelle que j’ai pu avoir par le passé, mais qui était en totale négation avec ce que je ressentais.
Un de mes ex, avec qui j’avais rompu une ou 2 semaines plus tôt, et une de mes amies, assez proche à l’époque, ont eu une aventure. Cet ex et moi nous sommes remis ensemble 2 mois plus tard, et j’ai eu vent de cette aventure sans que ni l’un ni l’autre ne me le dise. Je ne vais pas mentir, ça m’a profondément blessée. J’ai eu mal, physiquement même. J’ai réfléchi à tout ça, de façon rationnelle, et j’en ai rapidement conclu que je n’avais rien à dire, et implicitement rien à ressentir, à ce sujet puisque, de toute façon, « on était séparés »!!
Je ne m’autorise pas à avoir de réaction qui ne soit pas, à mon sens en tous cas, rationnelle. Et, ce qui est encore plus problématique, je ne m’autorise pas non plus à ressentir une émotion provoquée par une réaction qui me semble irrationnelle.
J’ai donc passé toute ma vie à nier une bonne partie de mes émotions parce que, comme vous tous, je suis humaine. Mais je ne m’autorise que très rarement à l’être.
Le problème c’est qu’un tel contrôle a, tôt ou tard, des effets dévastateurs.
Je ne vais pas vous infliger la liste des symptômes physiques que je soupçonne d’être directement liés à cette mauvaise atypique gestion des émotions.
Alors voilà, à 34 ans je me retrouve là, avec un trop plein d’émotions accumulées, sans savoir d’où elles viennent ni ce qu’elles signifient. Et, plus important encore, sans savoir quoi en faire.
Il y a quelques années, j’ai eu quelques soucis de santé. Il m’arrivait d’avoir des malaises, d’avoir l’impression d’être sur le point de tomber dans les pommes, mais sans jamais aller jusqu’à m’évanouir. Quand j’en ai parlé à mon docteur, il m’a dit en riant « Ah mais en fait le souci c’est ça! Vous voulez tomber dans les pommes mais vous y arrivez pas! »
Non… et oui! Comme je le lui ai expliqué, j’espérais naïvement que si je tombais dans les pommes une bonne fois pour toutes, ça passerait et que je pourrais passer à autre chose.
Ok, je sais ce que vous vous dites : mais pourquoi elle nous raconte tout ça ???
Parce que j’essaie de faire une métaphore maladroite…
Aujourd’hui, à l’intérieur de moi, c’est un véritable raz de marée… et la marée monte, de plus en plus…
Putain mais merde arrête avec tes métaphores pourries…
Bref, j’ai ce trop plein d’émotions, et un tel contrôle sur moi-même, un contrôle que je ne contrôle même plus (oui moi aussi ça me pique les yeux quand je me relis), que je ne sais absolument pas comment les extérioriser. J’attends ce moment, j’en rêverais presque, ce moment tellement humain où tu ne gères plus rien et que tu pètes un plomb, une bonne grosse crise où tout sortirait n’importe comment, mais au moins ça serait dehors. Et après… enfin… le calme après la tempête…
Et hop, tranquillou Milou je retombe sur mes pattes avec ma métaphore de merde!
Aujourd’hui j’ai l’impression d’être juste au bord du précipice, penchée dangereusement, mais pas suffisamment pour tomber. Mais je n’arrive pas à reculer non plus, à me maintenir à une distance raisonnable. Non, je suis sur la tangente des émotions, et j’ai l’impression que j’occuperai cette place pour toujours.
Comment on fait pour extérioriser ces émotions quand on ne les comprend pas ? Quand on ne sait même pas exactement ce que l’on ressent ni pourquoi ? Quand on est tellement rationnel qu’on ne s’autorise pas à ressentir des choses qui nous semblent irrationnelles ? Vous avez des pistes ?